Par définition l’indigo est simplement : «un colorant naturel bleu foncé extrait de plantes» , mais est-il possible qu’il soit également un symbole historique et culturel de la Caraibe ?

Ceci est une des nombreuses problématiques à laquelle répond le documentaire « Valérie John, la femme indigo» signé Laure Martin Hernandez. Produit en 2022 , le film retrace l’histoire de l’artiste contemporaine Valérie John. Née en 1964 en Martinique , cette dernière est devenue une plasticienne et enseignante reconnue entre autre dans la Caraïbe et à l’international pour son utilisation du tissage et de l’indigo . Nommée au prix AWARE en 2022, le documentaire s’organise autour de sa participation à la 14ème édition de la Biennale de Dakar , la même année.
En tant qu’étudiante c’est un film dont je conseille vivement le visionnage car en plus d’avoir un abord artistique captivant à travers une esthétique des images, il traite de réelles questions identitaires autour de la population caribéenne.

Cette notion identitaire se retrouve sur trois différents niveaux au cours du film.

Il est d’abord question d’une identité personnelle : celle d’une artiste femme, martiniquaise qui réussit chaque jour à s’imposer dans le monde artistique. Il y a un retour chronologique sur les moments forts de sa vie à travers des flash-back sur son enfance et sa jeunesse ainsi que des «interviews» de son entourage qui permettent au spectateur de mieux cerner l’artiste en tant que personne . Il est ensuite question d’une identité artistique mis en valeur à travers la narration et l’explication du processus de création , allant de l’idée à l’assemblage. Les matériaux sont particulièrement mit en avant à l’image tout au long du film à travers une certaine esthétique visuelle construite à partir de gros plans sur les mains de l’artiste travaillant la matière. De plus à plusieurs reprises la réalisatrice a choisi de laisser le son original durant la production artistique et de ne pas utiliser de bande sonore musicale pour permettre aux spectateurs d’assister de manière très réaliste au processus de création . À travers sa palette chromatique, le film est également une sorte de continuité de l’œuvre de Valérie John basée sur le bleu indigo . Enfin l’artiste précise qu’elle essaie avec les matériaux et les formes qu’elle utilise de produire un art qui parle à chacun , créant ainsi une certaine identité commune caribéenne .

Le documentaire prend place sur trois lieux principaux qui correspondent à des moments cruciaux de la vie de l’artiste: la Martinique, lieu de vie et de naissance, Paris ville où elle a étudié et Dakar , lieu où elle a vécu et qui lui a permis de trouver l’objet de son œuvre : l’indigo tout en renouant avec ses origines africaines. Il est donc très intéressant et émouvant de voir l’artiste revenir sur ce territoire, personnellement et historiquement ,en tant que Caribéenne , chère à ses yeux pour créer . En allant chercher directement les matériaux chez les artisans locaux, elle relie symboliquement et artistiquement la Martinique et l’Afrique. Ce geste a également une connotation historique et culturelle forte s’ancrant dans la notion identitaire caribéenne.
La chronologie du film occupe une place importante dans la narration de l’histoire, il est construit en quatre parties distinctes nommées dans l’ordre : « la germination », « la croissance », « la floraison » et « la fructification ». Ces titres non choisis au hasard font à la fois référence aux différentes étapes de la création d’une œuvre ainsi qu’au cycle de vie de la plante de l’indigo choisi pour sa couleur et son histoire par l’artiste.

Ce film au côté biographique est ainsi la trace d’un moment symbolique dans la vie artistique d’une artiste, mais aussi un renouement identitaire primordial entre deux cultures historiquement très reliées . À travers ce documentaire organisé au rythme emblématique de la plante de l’indigo , nous pouvons suivre une artiste dans sa démarche créative organisée autour des différentes teintes de ce bleu si symbolique presque indissociable de son histoire personnelle en tant qu’artiste et caribéenne.

Lola Abadie