Après le visionnage des quatre films documentaires, nous pouvons donc relever des similitudes, notamment des thèmes et questions récurrents dans le bassin caribéen.
En effet, les thèmes mis en lumière au sein des films documentaires sont l’identité et la spiritualité. Ici, nous ne parlons pas seulement d’identité physique, mais également d’identité psychique, historique, culturelle voire artistique.
D’une part, certains se trouvent dans une démarche de construction de leur identité à l’instar de Origine Kongo, une construction basée sur des fragments d’histoires, de souvenirs, d’anecdotes issus d’ascendants et véhiculés dans les familles, ainsi que les recherches personnelles des protagonistes. Chacun expose son questionnement sur ses origines et tout ce que cela implique : réputation et règles familiales, traditions et cultures, rejet et/ou acception. La construction identitaire physique est profondément liée aux patronymes purement africains tels que MASSEMBO, YOKESSA et KIMBOO. Alors que pour les noms francisés, ce lien a été aliéné, brouillé. De plus, l’envie de savoir qui on est, d’où l’on vient, qu’elle est notre histoire, notre héritage, incite Bernard (N’)DENDELÉ LECLAIRE à faire la traversée de Marie-Galante, en Guadeloupe au République démocratique du Congo, et Vanessa GUY-TOUSSAINT à faire le voyage de Sainte-Anne en Martinique au Sénégal, en Afrique, continent souche. Toutes ces démarches contribuent ainsi à la création, la constitution et l’expression de l’identité.
D’autre part, d’autres sont en pleine reconstruction identitaire après des aléas et un parcours de vie qui s’est achevé en perte de repères, en maladie mentale et psychiatrie. À l’exemple de Mantjé tonbé sé viv, les participants aux ateliers et rituels du Bèlè deviennent au fur et à mesure des soignés, des personnes renouant avec la liberté, la conscience, l’harmonie, la sérénité. De fait, grâce à la musique, l’expression corporelle, l’instrument divin et spirituel qu’est le tambour, ils trouvent une thérapie alternative plus en adéquation avec leur origine d’afro-descendants. Dès lors, l’art est un outil d’apaisement mental et spirituel, une arme dans la reconstruction de soi, dans l’acceptation du “moi” par soi-même et les autres, la société. L’art insuffle l’énergie positive nécessaire à chacun pour renouer avec la nature et les traditions ancestrales, pour recréer une identité plus stable, pour se réapproprier et réparer l’histoire, voire bâtir une nouvelle histoire, mémoire en rupture avec le passé colonial et donc une nouvelle vie aux facettes différentes et nouvelles.
Dans le film documentaire Valérie JOHN, la femme indigo, qui raconte la rencontre et le travail d’une plasticienne avec un élément naturel, l’indigo, les thèmes d’identité et de spiritualité y sont exploités en symbiose avec l’art. Cependant, par le biais du portrait documentaire de cette femme unique, nous assistons à un renouveau et une reconquête d’abord de l’indigo (plante, poudre, couleur, nuances, symbolique), puis de l’histoire et de l’identité de l’artiste. À travers l’indigo et toute sa complexité, nous comprenons l’artiste et ses œuvres. Pour elle, cette couleur est “l’œuvre de toute une vie “, c’est-à-dire le lien historique avec la traite des nègres où nombre des ancêtres africains ont été rejetés au fond de l’océan, n’ayant pas survécu à la traversée. Et de ce fait, cela fait écho à ses origines, son attirance et son attachement à l’Afrique, notamment le Sénégal. D’ailleurs, à chaque voyage vers le continent primaire, souche, la plasticienne n’est que nourrie et confirmée dans son identité et ses choix artistiques, qui révèlent la richesse de notre “palimpseste”, nos strates, ce tissage qui nous forme.
Enfin, nous observons que l’identité peut aussi être altérée, influencée, soit positivement ou négativement, par un masque physique, physiologique ou artistique, et plus précisément le masque du diable rouge, communément appelé Papa Djab au carnaval martiniquais. En complicité avec le réalisateur de ce dernier documentaire, nous “enquêtons” sur la ou les fonctions de ce masque fait de cornes et de miroirs que l’on retrouve similairement au Sénégal. Alors qu’en Martinique ce masque, cette figure relève une fonction culturelle, il revêt une fonction cultuelle en Afrique. Néanmoins, dans les deux espaces géographiques, on y attribue une forme d’initiation lors de son port, initiation où l’on forge son identité spirituelle guerrière, “au cœur de la lutte entre le bien et le mal “. À ce titre, nous pouvons inexorablement ajouter le lien à l’ancêtre et sa puissance protectrice.
Notre identité serait, semble-t-il, construite autour de nombreux paramètres, expériences et sources. Comme l’humain, l’identité “se métamorphose “, à tous les niveaux.
Lors du visionnage des films, nous nous sommes interrogées sur le choix du support technique et audiovisuel, et son importance par rapport aux sujets et thèmes abordés.
De prime abord, les quatre films sont des documentaires. Bien que l’on puisse définir globalement un documentaire comme étant un film ayant un caractère didactique ou culturel, visant à faire connaître un pays, un peuple, un artiste, un fait historique ou social, nous pouvons ainsi préciser que c’est un film qui raconte, s’inspire et s’appuie sur le réel. Alors que le film d’animation ne serait que fiction et divertissement, le film documentaire nous aident très souvent, en tant que spectateurs, à comprendre l’autre, le monde, l’histoire, la nature. Ce genre filmique permet, en outre, de s’engager car il attire notre attention sur certains sujets, phénomènes et problèmes humains, sociaux et/ou planétaires. À cet égard, le film documentaire semble être le support adéquat afin de sensibiliser, d’informer, de toucher un grand nombre de spectateurs ne serait-ce que par le titre, de convaincre et d’initier une opinion, une prise de position, un choix. De même, nos quatre documentaires, bien que réalisés par quatre réalisateurs différents de par leurs âges, leurs origines, leurs styles, leurs expériences professionnelles, appartiennent à plusieurs et mêmes catégories, mêlant images d’archives (scènes du carnaval, vues de documents officiels anciens), entretiens (témoignages, protagonistes, participants), enquête ici et ailleurs (déplacements et voyages), gros et moyens plans sur les éléments artistiques, culturels, identitaires et leurs créateurs.
Enfin, les documentaires se présenteraient comme les comptes rendus exacts et idéals, qui captiveraient les spectateurs du début jusqu’à la fin.
Mary Huggins