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Cyclones : critique #FpF2021

Cyclones :  critique de Steven Bilco

C’est à la salle mobile de Tropique Atrium au Saint-Esprit, ville natale de la dramaturge Daniely Francisque, que s’est jouée le 25 mars 2021 sa pièce de théâtre intitulée Cyclones. Coup de cœur à Avignon en 2017, le public du festival des Petites Formes organisé par la scène nationale de Tropique Atrium, a eu la chance s’assister à la 43e représentation de cette pièce, mise en scène par Patrice Le Namouric et la Compagnie TRACK, le tout sous les jeux de lumière de Marc-Olivier René.

Fable

Dans cette pièce, il est question avant tout de retrouvailles. Un soir de cyclone, Leyna reçoit la visite d’Aline qui prétend être sa petite sœur partie en quête d’informations sur sa propre famille. S’en suit un long tête-à-tête entre les deux femmes, remuant le passé familial à coups d’aveux voilés, le tout menant les personnages aux confins du secret familial, face à la vérité douloureuse qui marque de son sceau destructeur.

Introduction

Pas facile d’assister à cette représentation sans être tenté d’y voir, dans le reflet de la déconstruction progressive des origines familiales ,une problématique bien connue des Antilles et liée à son passé historique, qui n’est autre que la question de l’identité. Celle-ci soulève la problématique suivante : sur quels éléments se base-t-on pour construire une identité ? Autrement dit, quelles influences participent à faire une identité ? Au travers de cette pièce de théâtre, quelques pistes de réponses s’exposent.

Analogie Aline-cyclone, Aline-personnage = Chaos

La généalogie tend à subvenir au besoin croissant de réponses qu’éprouve Aline. Celle-ci, après une longue enquête sur les routes de l’errance, retrouve enfin sa sœur Leyna dans sa case un soir de cyclone. Le décor et le contexte, dans lequel s’inscrit la représentation, fixent la tendance que suivra la pièce : une confrontation dans un huis clos alors que tout vole et se déchire autour. La délimitation de l’espace scénique est ici progressive. Par l’emploi de planches en bois pour réduire l’espace ludique, lieu d’action du comédien sur scène dans son jeu, au creux d’un carré situé au centre du plateau, l’espace où se déroule l’action se retrouve limité. Ainsi, le décor extérieur à ce carré se réduit au néant.

Celui-ci s’exprime par le vide causé par les forces naturelles du cyclone, nommé par un jeu de miroir, tout comme la protagoniste qui déclenche l’action dramatique :  Aline. On comprend vite que dans cette simple analogie résident les clefs de compréhension de l’enjeu. Celui-ci n’est autre que la question qui oppose le néant, manifesté à travers le symbolisme du cyclone et l’existence, représentée par Aline.

Expression du Néant-Chaos

Ce néant est caractérisé par le chaos des éléments naturels et l’absence de souvenirs des deux femmes. D’ailleurs, le motif du chaos n’est pas nouveau, comme en témoigne l’œuvre romanesque de l’auteur haïtien Franketienne. L’absence, ce vide, est la source même de l’impulsion dramatique qui se manifeste à travers l’action d’Aline de retrouver Leyna, qui s’avère ne pas être sa sœur, loin de là. Face au vide du chaos, l’existence elle, peine à manifester sa présence qui est entravée par le secret du silence. Au fil de la progression théâtrale, c’est à dire aussi bien d’un point de vue dramatique que ludique, le mur du silence protégeant ce chaos s’effrite et laisse place à la dure connaissance de la réalité. Ainsi effrité, la matière tend à pénétrer dans ce vide chaotique, lui donnant peu à peu forme. Cette matière, dans un certain sens, n’est autre que cet aveu immonde faisant de Leyna elle-même la mère d’Aline. Ici le chaos, synonyme de néant si on s’en tient à la mythologie grecque, s’inscrit par l’entremise de l’inceste au sein des fragiles constructions identitaires rêvées par Aline qui s’engouffre peu à peu dans ce vide. On est amené à voir dans ces personnages les deux faces d’une même pièce. D’un côté nous avons la fille Aline, symbole de l’union qui s’exprime à travers la rencontre avec sa mère. Et de l’autre, Leyna qui symbolise le rejet de la réalité, elle-même ayant fui 16 ans plus tôt le fruit de la relation entre un père et sa fille. Ces deux symboliques opposées entrent en relation par la force unificatrice du chaos abritant en son sein l’ensemble des possibles, car c’est bien un théâtre qui mime le chaos qui se joue sur scène.

Argument

Le jeu des deux comédiennes n’y échappe pas, en alternant tantôt les mimes des personnages absents de l’espace ludique, tantôt en performant des danses sur le rythme des ambiances sonores de Grégory Privat et Didier Adréa. Ce jeu s’inscrit donc dans un mouvement de va-et-vient porté par le vent cyclonique. Au niveau de l’espace dramatique, c’est à dire dans l’histoire mimée sur scène, le choc de l’aveu incestueux génère un gouffre engloutissant toute notion d’identité. Déboussolée, Aline n’a qu’une envie : celle de fuir Leyna, qui n’est autre que la manifestation de la réalité douloureuse des années de mensonges. Ces derniers entravent la construction d’une identité, aussi bien fictive comme imaginée par Aline, que réelle comme affirmée par la présence de sa mère Leyna.  Ces manifestations du chaos s’articulent avec une constante exprimée à travers l’impulsion suscitée par l’envie.

Envie = En Vie : nécessite l’expression de l’impulsion originelle au sein de la réalité DONC de l’identité inhérente à l’existence 

L’envie est ici double. En effet, l’envie de savoir qui entraîne la connaissance de la réalité diminue, inversement à l’envie de croire en une identité qui est ici le statut de sœur, qu’Aline tente de protéger par la volonté de fuir sa mère Leyna. L’impulsion qui alimente successivement ces envies, croire et savoir, n’est autre que la vie, dirigée dans un sens progressif ou au contraire, régressif. Néanmoins, cette vie peine à s’inscrire pleinement dans un présent, lieu d’expression de l’existence fragilisée par l’absence de l’identité sur laquelle elle repose. L’impulsion de la vie et son existence luttent contre le néant qui s’exprime à travers le vide caractéristique du chaos qui englobe cette pièce.

Limite : une vision binaire

En suivant cette progression, la construction d’une identité solide s’avère nécessaire à l’épanouissement de la vie. Cependant, le mise en relation des liens unissant les notions de vie et d’identité soulève tant de questionnements : comment définir la vie ? Sur quel critère ? Sur quoi doit-on baser la construction de la notion d’identité ? Ou encore, par quel biais interagissent ces deux notions ? Et bien d’autres. Face à ce flot incessant, le spectateur curieux peine à trouver des éléments pouvant aiguiller sa recherche. Ici, le paradoxe vie/néant, par le biais de la question de l’identité, démontre une vision duelle de la réalité. Cette vision binaire qui limite de facto l’apport substantiel entrave l’élargissement de la réflexion. Cette limite peut laisser le « spectateur actif », comme l’expose Jacques Rancière dans son livre Le spectateur émancipé, quelque peu sur sa faim, sans pour autant omettre la substance intellectuelle que soulève cette représentation théâtrale dans sa globalité, ici malheureusement trop vite survolée. 


Sous la direction de :

Axel Artheron
Maître de conférences en histoire et esthétique du théâtre dans la Caraïbe
Département de lettres/ Fac LSH Campus de Schoelcher
CRILLASH EA4095
Université des Antilles


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