Kongo : Origine est un documentaire, d’une durée de 52min26s, réalisé par la Martiniquaise Laura Chatenay-Rivauday en 2023 ; et a été sélectionné au Festival International du Film Documentaire Amazonie-Caraïbes dans la catégorie Écrans Parallèles.
La Guadeloupe et la Martinique, tout comme le reste du bassin caribéen, sont marquées par un brassage multi-ethnique lié aux différentes phases de migrations, opéré notamment par des migrations choisies liées au travail. En effet, pour ce qui est des Antilles Françaises, des « contrats d’engagements » ont été mis en place après l’abolition de l’esclavage, afin de repeupler les plantations d’une main-d’œuvre abondante et bon marché. Les travailleurs viennent principalement d’Asie et d’Afrique de l’Ouest (principalement du Bassin du Congo) et migrent pour une période de 10 ans, renouvelable ou non, avec possibilité de rapatriement dans le pays d’origine. Bien souvent, les rapatriements n’ont pas lieu faute de moyens des travailleurs, qui deviennent tributaires de certaines conditions de ces contrats. Dans le documentaire présenté, les descendants de ces travailleurs africains témoignent et partagent leurs constructions identitaires en tant que Martiniquais, descendants de Kongo. Il s’agit d’un document sur la composition de la population antillaise, plutôt à visée ethnographique. Le terme Kongo est une expression utilisée en Guadeloupe et en Martinique pour désigner les travailleurs d’Afrique de l’Ouest (et leurs descendants) venus travailler aux Antilles, sous les conditions des contrats d’engagements.
Les premières images du documentaire sont celles du fleuve Congo, un puissant fleuve avec un très fort débit, qui marque une frontière naturelle entre la République Démocratique du Congo, la République du Congo et l’Angola. Il est le cinquième fleuve du monde et deuxième fleuve du continent africain par sa longueur et son débit en fait aussi le deuxième fleuve du monde, après l’Amazone. C’est donc un fleuve qui peut avoir une symbolique forte du fait de son rôle essentiel dans l’irrigation de ces pays d’Afrique de l’Ouest. Ensuite, la présentation des descendants est introduite par la lecture d’un élément du contrat de travail d’un travailleur Kongo nommé Kiluemba. En effet, les grandes sections du documentaire sont séparées par la lecture de certaines conditions du contrat, les articles du contrat comme la rémunération, la nature des travaux qui devront être réalisés ou encore les conditions de rapatriement.
Le nœud de ce documentaire est selon moi le passage où les interviewés partagent leurs héritages transmis par leurs ancêtres Kongo. Ce passage est intéressant car chacun traduit cet héritage d’une manière différente : pour Marie-France Massembo, il s’agit de l’art de pratiquer une cérémonie Grap à Kongo de parler et chanter en Kikongo. Pour d’autres, il s’agit de la fierté de porter un patronyme qui a une identité, qui permet d’exister en tant qu’individu, et non de revêtir un patronyme donné par le colon et qui n’illustre pas l’histoire ou l’identité de l’individu qui porte ce nom. L’héritage est également associé à une dimension spirituelle qui, en plus d’influencer l’art des personnes interrogées, leur permet d’être. En effet, l’art est beaucoup mis en avant dans le documentaire. La construction identitaire des personnes interviewées semble inspirer leur art, que ce soit de la peinture, de la sculpture, du chant ou de la recherche. Ils ont pu construire une identité propre à partir de l’histoire de leurs ancêtres proches, chose que beaucoup de Guadeloupéens et de Martiniquais (voire afro-caribéens de manière générale) ont du mal à effectuer étant donné que l’arrivée de leurs ancêtres d’Afrique remonte à très loin, et que les identités des captifs réduits en esclavage ont volontairement été effacées.
Tout au long du documentaire, les interviewés partagent leur histoire en accomplissant une tâche, une œuvre : la cérémonie de Grap à Kongo, la confection d’un masque, peindre un tableau ou encore le retour sur la terre mère au Congo. La fin du documentaire est marquée par l’accomplissement de leurs œuvres personnelles : Vanessa Guy-Toussaint marche en pleine nature avec le masque d’inspiration d’Afrique noire qu’elle a fabriqué, Joël Nankin termine sa peinture d’inspiration d’Afrique noire et ses finitions et enfin Bernard Dendéle-Leclaire, après avoir rencontré sa famille maternelle, se passe de l’eau du fleuve Congo sur le visage. Le documentaire se termine sur la même image avec laquelle il a été introduit, celle du fleuve Congo.
Chaque individu témoigne donc de son rapport à son identité en tant que Kongo, de son rapport au reste de la société martiniquaise notamment en termes de rejet et discriminations qu’ils ont pu subir.
Le passage qui m’a particulièrement marqué est le passage où Bernard Dendéle-Leclaire décide de se rendre dans le village de sa mère au Congo. Avant de se rendre au Congo, Bernard décide d’emporter de la terre de Marie-Galante, son île natale, afin de les répandre sur le sol Congolais en hommage à feu sa mère. La terre est répandue au pied d’un arbre du village, accompagnée de libation dans le but d’obtenir la bénédiction de leurs ancêtres et d’intégrer Bernard à la communauté du village.
Anaïs Berger